Jean-François CARLOT, Docteur en Droit, Avocat Honoraire |
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Dans un arrêt du 7 Janvier 1878, la Chambre des Requêtes approuvait une Cour d'Appel d'avoir jugé que le chef d'entreprise "avait la stricte obligation de protéger l'ouvrier contre les dangers qui peuvent être la conséquence du travail auquel cet ouvrier est employé ; une telle obligation entraînant la nécessité sous peine de faute, de prévoir les causes, non seulement habituelles, mais possible d'accident, et de prendre les mesures qui seraient de nature à les éviter".
Dans un arrêt du 27 Novembre 1884, la Cour supême de Justice du Luxembourg, estimait que "le contrat entre l'ouvrier et le patron oblige celui-ci à veiller à la sécurité de l'ouvrier et à le protéger contre les conséquences des dangers inhérents à son travail, et devient ainsi le "débiteur contractuel de la sécurité de l'ouvrier" qu'il doit garantir du danger dans lequel il l'a volontairement placé".
Le Conseil d'Etat adoptait cette formulation dans un arrêt du 21 Juin 1895, à propos d'un ouvrier d'un arsenal de l'Etat.
Enfin, l'arrêt Teffaine du 16 Juin 1986, reconnaissait la responsabilité sans faute de l'employeur à l'égard de son salarié, en vertu de l'article 1384 du Code Ciivl.
En réponse à cette extension du domaine de la responsabilité des employeurs, la loi du 9 Avril 1898 sur la réparation des accidents du travail, toujours en vigueur, était un texte de "compromis", faisant bénéficier les salariés d'une réparation automatique, mais forfaitaire, en contrepartie d'une "immunité" de l'employeur.
Sa solution fut étendue aux maladies professionnelles en 1919.
Dans l'arrêt Villa de 1941, la faute inexcusable était définie comme une "faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'abence de toute cause justificative"
La loi du 30 Octobre 1946 a mis à la charge des Caisses de Sécurité Sociale le paiement direct de la réparation des accidents du travail, pallliant ainsi le risque d'insolvabilité de l'employeur.
Les modalités de l'indemnisation des accidents du travail sont désormais prévues par le livre IV du Code de la Sécurité Sociale.
Selon l'article L 451-1 du Code du Travail : "sous réserves des dispositions prévues aux articles L 452-1 à L 452-5, L 455-1, L 455-1-1 et L 455-2 aucune action en réparation des accidents ou maladies mentionnées par le présent livre ne peut être exercée conformément aux droit commun par la victime ou ses ayants droit".
Mais, la réparation forfaitaire des accidents du travail présente l'inconvénient d'indemniser les salariés victimes dans des conditions moins favorables que celles du droit commun, puisqu'elle consiste, essentiellement, au remboursement des frais de soins et de la perte de salaire, ainsi qu'en l'allocation d'une rente, sans réparation des préjudices personnels.
La reconnaissance d'une faute inexcusable à la charge de l'employeur est donc le seul moyen de permettre au salarié de bénéficier d'une réparation complémentaire, dans des conditions proches de celle du Droit commun.
Autrefois exceptionnelle, la reconnaissance de la faute inexcusable est donc à présent "banalisée" par la jurisprudence qui, avec loes arrêts amiante" du 28 février 2002 considère que tout accident du travail résulte nécessairement de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, lorsque il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et n'a pas pris les mesures nécesaires pour l'en préserver.
De ce fait, et au prix d'une construction jurisprudentielle artificielle, le contentieux de la faute inexcusable tend à devenir le droit commun de l'indemnisation des victimes d'accidents du travail.
Focalisée par le problème de l'amiante, à l'origine de la nouvelle définition de la faute inexcusable, l'indemnisation des accidents du travail met en oeuvre des principe du Droit de la Sécurité Sociale, du Code du Travail (a. 230-2), du Code Civil (a. 1147) et du Code Pénal.
Désormais, il n'est plus nécessaire que la faute de l'employeur soit déterminante, elle doit seulement être nécessaire.
Elle repose désormais sur la notion de "conscience du risque que fait courir l'employeur à ses salariés", et sur la notion contractuelle d'obligation de sécurité, accessoire au contrat de travail, dont le principe est reconnu dans l'article 230-2 du Code du travail.
Désormais, on peut dire que la seule réalisation d'un accident du travail présume d'un manquement à une obligation de sécurité, puisque celle-ci est de résultat.
La cour de Cassation poursuit deux buts :On n'est plus dans un dommage de responsabilité, mais de "garantie du risque", comme dans la loi Badinter.
- permettre l'indemnisation des victimes d'accident du travail dans des conditions proches de celles du Droit commun
- faire en sorte que l'employeur renforce constamment la sécurité dans l'entreprise
Il s'agit d'une "transmutation" du Droit de la responsabilité classique.
Sauf si la faute de l’employeur est intentionnelle, le tiers étranger à l’entreprise, qui a indemnisé la victime d’un accident du travail pour tout ou partie de son dommage, n’a pas de recours contre l’employeur de la victime. Telle est la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 29 novembre 2018. Dans cette affaire, ayant été victime d’un accident du travail alors qu’il manœuvrait un engin emprunté à une société, le salarié d’une autre société, a engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable contre l’employeur et une action en responsabilité civile contre la société. L’employeur a recherché la garantie de la société. Cass. civ. 2, 29 novembre 2018, n° 17-17747.
Par trois arrêts du 3 mai 2018, et un autre du 10 octobre 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le Conseil de prud’hommes est compétent pour allouer une indemnité au titre d’un préjudice résultant d’une rupture du contrat de travail même si celle-ci est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Pour mémoire, le Code du travail prévoit que le Conseil de Prud’hommes est compétent pour trancher les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail ; alors que l’application de la législation relative aux conséquences des accidents et maladies professionnelles relève de la compétence exclusive du Tribunal des affaires de sécurité sociale. Cass. soc., 3 mai 2018, n°16-26.850 ; Cass. Soc., 3 mai 2018, n°17-10.306 ; Cass. Soc., 3 mai 2018, n° 16-18116 ; Cass. soc., 10 octobre 2018 n°17-11.019.
l'employeur, dont la faute inexcusable a été reconnue par une décision irrévocable, dans une instance à laquelle l’organisme social était appelé, ne peut plus contester ultérieurement le caractère professionnel de cette maladie à l'appui d'une demande en inopposabilité de la décision de prise en charge de celle-ci au titre de la législation professionnelle. Cass. civ., 2e ch., 4 avril 2019, n° 17-16649 FSPBI
L’article 66 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2013 vise à remédier à cette situation, en distinguant les procédures et en prévoyant que, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à ce titre.
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