RESPONSABILITES
Responsabilité de l'avocat pour avis sur les chances de succès d'un recours
Il appartient à l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de faire preuve à l'égard de son client de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence. S'il est libre de choisir, dans l'intérêt de son client, les moyens susceptibles d'être soumis à la juridiction, il doit, dans tous les cas, lui donner son avis sur les chances de succès d'un recours qu'il est chargé d'instruire.
Lorsqu'il délivre une telle consultation, l'avocat doit fournir à son client, en conscience, son appréciation sur les chances de ce recours. C'est au client qu'il appartient, au vu notamment de ce conseil, de décider d'entreprendre ou de poursuivre son action ou, au contraire, d'y renoncer.
Pour apprécier si l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité professionnelle à l'égard de son client, il y a lieu d'apprécier si l'avocat a normalement accompli, avec les diligences suffisantes, les devoirs de sa charge, à la condition que son client l'ait mis en mesure de le faire.
Si sa responsabilité est recherchée à raison d'une consultation donnée sur les chances de succès d'un recours, cette responsabilité n'est susceptible d'être engagée que si l'avocat a failli aux devoirs de sa charge en dissuadant son client d'entreprendre ou de poursuivre une action qui avait des chances manifestes d'aboutir.
CE, 6ème - 5ème chambres réunies, 20/12/2024, 488061, Publié au Lebon.
Si cette décision a été rendue par la juridiction administrative dans une affaire concernant la responsabilité d'un avocat aux Conseils, une telle solution paraît également applicable à la responsabilité d'un avocat "normal" par la juridiction judiciaire.
Tenu d'une obligation de conseil, l'avocat doit dans tous les cas donner son avis sur les chances d'intenter un recours, l'avocat aux Conseils ayant plus particulièrement à donner un avis pertinent sur l'opportunité de former un pourvoi.
La faute de l'avocat ne peut être retenue que si celui-ci a dissuadé - à tort - son client d'entreprendre ou de poursuivre une action qui avait des chances manifestes d'aboutir, et l'appréciation d'une telle chance appartient, bien entendu, à la juridiction amenée à statuer sur la responsabilité de l'avocat.
Cette solution repose d'abord sur l'obligation de compétence, et aussi de prudence qui font partie des principes essentiels de la profession d'avocat.
L'appréciation d'une chance est souvent hasardeuse et délicate, dans la mesure où il existe toujours un "aléa" judiciaire. En l'espèce, le CE prend soin de préciser que la faute n'est constituée que si l'action avait des chances "manifestes" d'aboutir, telle qu'une "grossière" erreur de droit, sachant qu'une question de fait relève le plus souvent de l'appréciation souveraine du juge du fond...
Il sera souvent "prudent" pour un avocat de requérir l'avis d'un autre Confrère, ou spécialisé en matière de procédure d'appel, ou plus certainement d'un avocat aux Conseils, avant de conseiller son client sur l'opportunité de former un pourvoi.
Virements frauduleux et absence de responsabilité du banquier
Selon le code monétaire et financier une banque a l’obligation de rembourser ses clients victimes d’escroquerie (CMF, art. L 133-18).
Mais, si le client a commis une négligence grave qui l’a conduit à se faire escroquer, l’obligation de remboursement qui pèse sur la banque est levée (CMF, art L.133-19).
La Cour de cassation juge que la négligence grave du client libère la banque de tout partage de responsabilité.
En l'espèce, la négligence de la société a été caractérisée par le fait qu'elle avait ouvert un courriel comportant un cheval de Troie, lequel avait infecté son ordinateur de comptabilité et permis des virements frauduleux.
Aucune faute ne pouvait donc être reprochée à la Banque
Com. 15 janvier 2025, 23-13.579
Selon le code monétaire et financier, une banque qui exécute un virement en se basant sur un identifiant (RIB/IBAN) fourni par son client ne peut être tenue responsable de l’opération de paiement lorsque l’identifiant n’oriente pas le transfert de fonds vers le bénéficiaire souhaité (art. L 133-21).
La Cour de cassation juge en conséquence que ces dispositions excluent tout partage de responsabilité entre la banque et son client.
l’origine de l’IBAN dont disposait le client (un piratage informatique), comme le fait que la banque n’ait pas relevé les anomalies que laissait apparaître l’identifiant, ne sont pas des circonstances envisagées par le code monétaire et financier comme ouvrant la possibilité d’un partage de responsabilité.
Dès lors, il ne peut y avoir remboursement, même, partiel du client par la banque.
Com., 15 janvier 2025, 23-15.437 - Voir le communiqué de la Cour de Cassation.
Responsabilité médicale : inversion de la charge de la preuve
Il résulte des articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique et 1353 du code civil que les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et que la preuve d'une faute comme celle d'un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur.
Dans le cas d'une absence ou d'une insuffisance d'informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l'impossibilité de s'assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d'en rapporter la preuve.
Pour rejeter les demandes de M. [E], après avoir relevé, en se fondant sur le rapport d'expertise, que la Société française d'arthroscopie (SFA) recommandait lors d'une arthroscopie de hanche de commencer l'intervention par une introduction d'air puis de sérum physiologique dans l'articulation afin de faciliter la distraction articulaire et la mise en place des dilatateurs articulaires, que cette introduction n'était pas retranscrite dans le compte-rendu opératoire mais que le chirurgien avait indiqué y recourir systématiquement, la cour d'appel a retenu que l'état séquellaire de M. [E], en lien direct avec la rupture de la broche pouvait avoir deux origines distinctes, soit sa constitution anatomique, étant de surcroît atteint d'arthose, soit un manquement du chirurgien qui n'aurait pas suivi la recommandation de la SFA, ce qui ne constituait qu'une hypothèse, non avérée, de sorte que le patient n'établissait pas l'existence d'une faute du chirurgien.
En statuant ainsi, alors que, en l'absence d'éléments permettant d'établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d'apporter la preuve que les soins avaient été appropriés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Civ. 1ère, 16 octobre 2024, 22-23.433, publié au bulletin
Cette décision va dans le sens d'une volonté constante d'élargissement du domaine de la responsabilité des professionnels. Après avoir affirmé qu'il a appartenait à ceux-ci de rapporter la preuve d'avoir donné une information sur les risques d'un acte médical, la Cour de Cassation demande au médecin "d'apporter la preuve que les soins avaient été appropriés", inversant ainsi la charge de la preuve, puisque le patient n'a même plus à rapporter la preuve d'une faute.
Dès lors, non seulement le médecin doit passer son temps de soin à informer son patient et à documenter ses actes, mais il doit être en mesure de justifier chacun de ceux-ci. Ainsi, le médecin n'est plus seulement responsable d'une faute ou d'un défaut d'information, mais doit toujours se préconstituer la preuve de ce que ses soins étaient appropriés.
Une telle jurisprudence ne sera donc pas sans incidence sur le montant des primes d'assurance des professionnels de santé qui devrait normalement être répercuté sur les usagers du système de soin.
Responsabilité de l'avocat pour défaut de conseil
Il résulte de l'ancien article 1147 du Code civil (actuel 1131-1)que l'avocat, investi d'un devoir d'information et de conseil est tenu de recueillir de sa propre initiative auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts.
Un arrêt devenu irrévocable, a rejeté la demande en revendication du client d'un avocat portant sur la propriété de parcelles par l'effet de la prescription acquisitive aux motifs, notamment, que son client avait proposé le rachat du terrain concerné et reconnu ainsi avoir conscience qu'il s'agissait d'une parcelle appartenant à autrui, et était équivoque.
Il appartenait donc à l'avocat du revendiquant de poser "les bonnes" questions à son client ou solliciter de lui la production de pièces, allant dans le sens de sa revendication, et de recueillir tous les éléments concernant les terrains en cause, avant de conseiller de formuler imprudemment une offre de rachat.
Civ. 1ère, 26 juin 2024, 23-15.03 - Rappelons que l'avocat est tenu à des obligations de compétence, de diligence et surtout de prudence (Art. 1.3 RIN). En l'espèce, il s'agit également d'une erreur "stratégique" : le fait de formuler une offre d'achat sur un terrain qu'on prétend avoir acquis par prescription...
Prescription de l'action pour trouble de voisinage
Il résulte de l'article 2224 du code civil que la prescription quinquennale à laquelle est soumise l'action en responsabilité pour trouble anormal de voisinage court à compter de la première manifestation des troubles, leur seule répétition sur une longue période ne faisant pas courir un nouveau délai de prescription.
En second lieu, M. [U] ayant soutenu devant la cour d'appel qu'il était recevable à agir à l'encontre des propriétaires successifs et donc directement à l'encontre de la société X, en faisant valoir qu'elle avait commencé son exploitation à compter du 3 décembre 2013, de sorte que son action n'était pas prescrite, il n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures, tiré de ce qu'il aurait été dans l'impossibilité d'agir contre le précédent exploitant.
Civ. 3e, 14 novembre 2024, n° 23-21.208
Inexécution contractuelle et préjudice indemnisable
L'exécution forcée en nature d'une obligation ne pouvant être ordonnée si elle est impossible, il résulte des articles 1103, 1217 et 1221 du code civil que, si la partie envers laquelle l'engagement contractuel n'a pas été exécuté peut poursuivre une exécution forcée en nature, une telle exécution, distincte d'une réparation en nature du préjudice résultant de l'inexécution contractuelle, ne peut porter que sur l'obligation prévue au contrat.
Il résulte des articles 1231-1 et 1240 du code civil que constitue un préjudice indemnisable l'anxiété résultant de l'exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave.
Il résulte des articles 1217 la partie envers laquelle l'engagement a été imparfaitement exécuté peut notamment obtenir une réduction du prix. Aux termes de l'article 1223 du code civil que "en cas d'exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s'il n'a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d'en réduire de manière proportionnelle le prix. L'acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. Si le créancier a déjà payé, à défaut d'accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix. »
Un créancier qui peut faire usage d'une sanction unilatérale devant pouvoir demander au juge de prononcer cette sanction, une réduction du prix peut, en toute hypothèse, être demandée en justice, les conséquences préjudiciables d'un refus injustifié de payer le prix dû pouvant, le cas échéant, être réparées par l'octroi de dommages-intérêts.
Civ. 1ère, 18 décembre 2024, n° 24-14.750, publié au Bulletin ; publié au Rapport
Le Référentiel de l'ONIAM ne doit pas être contraire au principe de la réparation intégrale
Le Conseil d'Etat a annulé certaines dispositions du référentiel de l'ONIAM contrevenant au principe de la réparation intégrale, à savoir :
- Le plafonnement du remboursement des frais de conseil (avocat, médecin) à 700 euros.
- Le plafonnement des frais d'obsèques et des frais divers des proches à 5 000 euros.
- La limitation de la prise en charge du forfait hospitalier à la moitié de ce dernier.
- Les t
aux horaires proposés pour l'indemnisation des besoins d’assistance par tierce personne
, fixés à 13€/h pour une aide non spécialisée et 18€/h pour une aide spécialisée.
CE, 5ème-6ème chb. réunies, 31 décembre 2024 n° 492854
ASSURANCES
Exclusion de risque : Frais de remplacement
Selon l'article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
N'est pas formelle,comme susceptible d'interprétation, la clause selon laquelle sont exclus « les frais exposés pour le remplacement, la remise en état ou le remboursement des biens que vous avez fournis, et/ou pour la reprise des travaux exécutés par vos soins, cause ou origine du dommage, ainsi que les frais de dépose et repose et les dommages immatériels qui en découlent ».
Civ. 3e, 5 décembre 2024, n° 23-12.129
Action directe : Formalisme de L.112-4 inopposable aux tiers lésés
Selon l’article L. 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.
Seules les parties au contrat d’assurance peuvent invoquer le non-respect du formalisme prévu par ce texte pour solliciter la nullité d'une clause d'exclusion, et non le tiers lésé agissant par voie d'action directe contre l'assureur.
Civ. 2e, 19 déc. 2024, n° 22-17.119, publié au bulletin.
Assurance de personne : Pathologie préexistante apparue en cours de contrat
Selon l'article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, dite « loi Evin », telle que modifiée par la loi n° 94-678 du 8 août 1994, lorsque des assurés ou des adhérents sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution. Le versement des prestations de toute nature se poursuit à un niveau au moins égal à celui de la dernière prestation due ou payée avant la résiliation ou le non-renouvellement, sans préjudice des révisions prévues dans le contrat ou la convention. De telles révisions ne peuvent être prévues à raison de la seule résiliation ou du seul non-renouvellement.
Les dispositions de ce texte n'interdisent pas aux parties de définir les conditions d'acquisition de la garantie.
Ayant constaté que le contrat garantissait les risques « incapacité » et « invalidité » et qu'avant la résiliation de celui-ci, l'assuré s'était trouvé dans l'incapacité totale de travailler en raison d'une pathologie dont les premières manifestations cliniques étaient apparues en cours de contrat, la cour d'appel, faisant application des stipulations contractuelles, en a exactement déduit que l'assureur était tenu de prendre en charge les conséquences de cette affection au titre du contrat de prévoyance.
Civ.2e, 7 novembre 2024, 23-11.055 ; RGDA déc. 2024, n° RGA202d2, p. 26, note Luc Mayaux
Faute dolosive du promoteur immobilier
Un expert avait appelé l'attention d'un promoteur sur la nécessité de rehausser les conduits de cheminée de la maison voisine, en soulignant que la mise en place d'une rehausse sur une souche de cheminée était une technique bien connue et maîtrisée par des entreprises qualifiées, et qu'aucun professionnel de la construction ne pouvait ignorer le litige à naître né de l'absence de modification de la hauteur de celle-ci.
Le refus délibéré du promoteur de faire réaliser les travaux ainsi préconisés, avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, caractérise sa faute dolosive exclusive de garantie.
Civ. 3e, 21 novembre 2024, n°23-15.803 ; RGDA déc. 2024, n° RGA202d5, p.21, Pascal Dessuet
Opposabilité d'une clause d'exclusion de garantie
Il résulte des articles L. 112-2 et R. 112-3, du code des assurances, ce dernier, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2018-229 du 30 mars 2018, qu'une clause d'exclusion de garantie doit avoir été portée à la connaissance de l'assuré au moment de son adhésion à la police ou, tout au moins, antérieurement à la réalisation du sinistre, pour lui être opposable.
C'est le cas lorsque l'assuré a reconnu, par une mention expresse de la proposition d'assurance revêtue de sa signature, que les conditions générales, comportant une clause d'exclusion de garantie litigieuse, lui avaient été remises avant la signature du contrat.
Civ. 2e, 7 novembre 2024, n° 23-10.612 ; LEDA déc. 2024, n° DAS202g6,p. 4, note Sabine Abravanel-Jolly ; RGDA déc. 2024, n° RGA202d9, p. 15, note Agnès Pimbert
Intérêt à agir et caractérisation de la faute intentionnelle ou dolosive
L'article L. 124-1 du code des assurances dispose que, dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé. L'arrêt précise qu'en vertu de l'article L 124-3 du même Code l'assuré n'a un intérêt "né et actuel" et n'est donc recevable à agir à l'encontre de son assureur de responsabilité que si une demande d'indemnisation est faite contre lui par la victime du dommage, ou s'il l'a déjà indemnisée.
par ailleurs, le fait de mettre sciemment sur le marché de la viande hachée sur laquelle le fabricant avait délibérément allégé les contrôles sanitaires et, ainsi, en toute conscience du caractère inéluctable du dommage qui s'ensuivrait, notamment en ce qui concerne la nécessité de retrait de ce produit, constitue une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1, al.2 du Code des assurances, légalement exclue de la garantie " frais de retrait " de son assureur.
Civ. 2e, 19 septembre 2024, n° 22-19.698, publié au Bulletin ; RGDA oct. 2024, n° RGA202b5, note Luc Mayaux
La partie défenderesse à une demande de mesure d'instruction, ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, ou demanderesse à la rétractation d'une telle mesure, ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, cette mesure d'instruction n'étant pas destinée à éclairer le juge d'ores et déjà saisi d'un litige mais n'étant ordonnée qu'au bénéfice de celui qui la sollicite en vue d'un éventuel futur procès au fond.
Dés lors, aucune somme ne saurait lui être allouée au titre des dépens et de l'article 700 du CPC.
Civ.2e, 21 novembre 2024, 22-16.763, publié au bulletin
Voila une décision qui pourrait heurter certains praticiens. Mais, il est vrai qu'en application de l'article 700 du CPC, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Il résulte de l'article 34 du Code de procédure civile qu'une partie assignée en justice est en droit d'en appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, une telle action ne supposant pas que l'appelant en garantie ait déjà indemnisé le demandeur initial (Civ. 3e, 8 décembre 2021, n° 20-18.540, publié). Civ.3e, 17 octobre 2024, 23-14.113 ; LEDA déc. 2024, n° DAS202h1, note Axelle Astegiano-La Rizza. Un ouvrage a été réceptionné en 2000 et a fait l'objet de désordres qui ont donné lieu à une procédure judiciaire. En 2013, les parties ont conclu une transaction aux termes de laquelle un constructeur devait réaliser divers travaux de réparation et le syndicat des copropriétaires se désister de l'instance qu'elle avait engagée. Se prévalant de l'exécution défectueuse de ces travaux de reprise, le syndicat des copropriétaires a assigné ce constructeur en 2014, aux fins de résolution de la transaction et en réparation des désordres. Or, sauf intention contraire des parties, la transaction n'emporte pas novation (Civ. 1ère, 21 janvier 1997, n° 94-13.826, 94-13.853, publié au Bulletin). Aux termes des articles 1271 1° et 1273 du Code civil, la novation s'opère lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte. Elle ne se présume point. Il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte. En l'absence de l'expression d'une telle volonté, la transaction n'a pas entraîné de novation par substitution à la convention initiale d'un nouveau contrat de louage d'ouvrage, à raison duquel la responsabilité de l'entreprise pourrait être engagée, indépendamment des désordres affectant les travaux réalisés en 2000. Il en résulte que l'action intentée en 2014 aux fins de résolution de la transaction et en réparation des désordres était prescrite à l'encontre du constructeur, comme fondée sur les travaux réalisés en 2000, point de départ de la prescription. Civ. 3e, 17 octobre 2024, 23-13.305
Note : Une transaction ne porte que sur un droit qui existe déjà, et n'a pas pour effet de créer un nouveau droit sans volonté expresse des parties. Or, le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription, et la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n'interrompt pas le délai de forclusion, notamment sur le fondement de l'article 1240 du Code civil (Civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-16.867, publié au Bulletin).
En l'espèce, cette solution est susceptible d'engager la responsabilité civile professionnelle du rédacteur de l'acte de transaction... Elle attire également l'attention sur les dangers que pourrait encourir un médiateur qui accepterait de conseiller ou de prêter son concours à un tel acte à l'issue d'une médiation, alors d'autant plus que ce n'est pas sa mission, et qu'il doit s'interdire d'intervenir dans l'élaboration de l'accord des parties. En revanche, il lui appartient d'inviter celles-ci à se rapprocher d'un professionnel, tel un avocat, pour mettre en forme un accord dès que celui-ci présente une certaine complexité.
Le jeu Juris'Game conçu par le Professeur Hervé Croze vient d'être édité par LexisNexis, et est parfait pour s'initier facilement et ludiquement à la procédure civile.
PROCEDURE
Pas d'article 700 en cas de mesure d'instruction ordonnée au titre de l'article 145
Les dépens doivent donc être mis en principe à la charge du demandeur, dans la mesure où il ne peut y avoir de perdant si aucune des parties ne s'oppose pas à la mesure sollicitée.
Toutefois, la mesure sollicitée n'est pas de droit, et le demandeur à une mesure d’expertise in futurum doit alors démontrer en quoi elle est utile et constitue un motif légitime d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (Civ. 3e, 30 mars 2023, n°21-25.114).
Dès lors, si l'une des parties défenderesses la conteste, et s'y oppose en invoquant notamment l'absence d'intérêt légitime, la solution est plus contestable car un véritable débat s'instaure alors devant le Juge des référés qui aura à trancher cette contestation et donnera raison à l'une ou à l'autre.
Dès lors, il y aura nécessairement un "perdant"...
Si les dépens doivent en tout état de cause rester à la charge du seul demandeur, puisque, selon la Cour de Cassation, aucune somme ne peut être allouée au perdant dans cette hypothèse, y compris au titre de l'article 700, peut-être ce "succombant" pourrait il solliciter une somme à titre de dommages et intérêts pour procédure ou pour résistance abusive, car le défendeur aura pu exposer des frais pour sa défense, notamment devant le Juge des référés où la représentation par avocat est obligatoire ?
Cela n'est toujours pas l'avis de la Cour de Cassation qui dans une telle hypothèse et par un arrêt du 10 février 2011 n°10-11.774 publié au Bulletin, a refusé d'accorder des dommages et intérêts à la partie demanderesse pour appel abusif.
Mais rien n'empêchera le demandeur de demander le remboursement de ses frais de référé et d'expertise à l'occasion de la procédure au fond qui s'ensuivra.
Recevabilité de l'appel en garantie
La transaction n'emporte pas novation
Juris'Game
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